L’accord De Taëf Et Ses Conséquences Sur Le Liban

L’accord De Taëf Et Ses Conséquences Sur Le Liban

L’accord De Taëf Et Ses Conséquences Sur Le Liban Papers

Language: French / 2007
Publisher: Not Specified

Compiègne Military Academy - France

Un officier de la Finul en poste au Sud du Liban avait jadis dans son bureau un écriteau sur lequel on pouvait lire : « Si vous pensez avoir tout compris sur le Liban, c’est qu’on vous a mal expliqué ! ».

 

Ce soir nous tenterons, ensemble, de lui donner tort.

 

Pour ce faire, nous démêlerons l’écheveau, séparant le fil de la guerre que les Libanais se livrent entre eux, du fil de la guerre que des étrangers se livrent par Libanais interposés.

 

Il m’apparaît en effet que, quelles que soient les intentions des puissances étrangères, elles doivent nécessairement venir se greffer sur une dynamique locale.

 

Et je me demande si l’extrême confusion qui règne tant au Liban que dans nos esprits ne serait pas due à un mauvais greffage des plans étrangers sur le socle libanais, conséquence d’une appréciation erronée de la dynamique locale de pouvoir.

 

Pour y voir clair nous devons donc revenir à l’essentiel. Et l’essentiel, c’est le jeu  politique libanais tel qu’il s’articule autour des institutions entendues comme enjeu et comme source de pouvoir, de clientélisme et de légitimation.

 

 

Le Taëf saoudo-américain

 

La dynamique actuelle de pouvoir remonte à l’accord de Taëf qui fut signé en 1989 et mit fin à une guerre entre chrétiens et musulmans qui avait débuté une quinzaine d’années auparavant. 

 

Taëf sonna le glas de la domination maronite (et, par-delà, chrétienne) sur l’Etat. Il prévoyait d’une part une parité entre chrétiens et musulmans au sein des institutions de l’Etat (auparavant, les chrétiens avaient disposé d’un léger avantage numérique de 6 pour 5) et, d’autre part, une réduction conséquente des pouvoirs de la présidence de la République, qui échoit traditionnellement aux maronites, lesquels pouvoirs se retrouvèrent investis dans le président et le gouvernement réunis.

 

De cet accord de Taëf on dira, que ce fut un accord sunnito-maronite signé sous l’égide des Saoudiens et des Américains, à travers lequel les sunnites cherchèrent à regagner le terrain perdu depuis 1975 face aux maronites mais aussi face aux chiites, et à travers lequel les maronites, eux, tentèrent de sauver les meubles.

 

Rappelons que cet accord avait eu l’aval de l’un des deux principaux leaders chrétien de l’époque, le Dr. Samir Geagea, mais non celui de son rival le général Michel Aoun, alors Premier ministre intérimaire nommé par le Président sortant Amine Gemayel à la fin de son mandat.

 

Peu après la signature de l’accord de Taëf, cependant, l’assassinat du nouveau président, René Moawad marquait la récupération par la Syrie, de l’accord de Taëf. La guerre civile chrétienne qui mit alors aux prises les partisans pro-Taëf du Dr. Samir Geagea et ceux, anti-Taëf, du général  Aoun, se termina par une offensive militaire syrienne et par l’exil du général Aoun.   

 

 

Le Taëf syrien

 

Au cours des douze années qui suivirent les leaders des trois grandes communautés musulmanes s’efforcèrent, avec l’aide de Damas, de laminer ce qui restait dans le pays comme forces chrétiennes indépendantes et de les vassaliser. C’est alors que le Dr. Samir Geagea, pourtant l’un des piliers de l’accord de Taëf, se retrouva lâché par son allié sunnite, Rafic Hariri, pourchassé par les Syriens et jeté en prison. Damas et ses alliés locaux (Hariri, Joumblatt, Berri et même le Hezbollah) se partagèrent alors les dépouilles des vaincus.

 

En 2000, les Syriens concoctèrent même, à l’intention de Hariri, une loi électorale taillée sur mesure qui lui permit d’étendre son influence à l’essentiel de la communauté sunnite mais aussi à une grande partie de la communauté chrétienne. Certes les maronites chrétiens conservèrent, du moins en théorie, les postes qui leur étaient conférés par la coutume (présidence de la République, commandement de l’Armée et du 2ème Bureau, Banque centrale). Mais dans leur écrasante majorité les fonctionnaires, ministres et députés chrétiens ne durent plus leur poste ou leur mandat qu’aux sponsors sunnite,  chiite, druze ou syrien, dont ils devinrent les clients.

 

 

La fin du Taëf syrien

 

Cet état des choses dura jusqu’en 2004, lorsque Hariri se brouilla avec Damas au sujet de la reconduction du mandat du Président Emile Lahoud. Fort de son aura internationale, de sa puissance financière et de ses appuis saoudiens, français et américains, Hariri souhaitait en finir avec Lahoud et parachever sa mainmise sur les chrétiens par l’élection d’un nouveau président qui lui serait acquis.

 

En ce qui le concernait, ce n’était là qu’un retour à l’esprit de Taëf que Damas avait à ses yeux dévoyé dès novembre 1989 suite à l’assassinat du Président Moawad. Pour les Syriens, par contre, les exigences de Hariri n’étaient ni plus ni moins qu’une remise en cause de l’accord sur la base duquel les deux parties avaient œuvré main dans la main au cours des douze années qui avaient précédé. L’insistance de Damas à maintenir Lahoud à son poste frustra au plus haut point Hariri qui bascula alors dans l’opposition.

 

Suite à quoi on assista à un bras de fer entre partisans d’un Taëf syrien et partisans d’un Taëf saoudo-américain. Ce bras de fer aurait pu rester contenu dans des limites raisonnables si l’une des deux parties, qui s’impatientait (en l’occurrence, Hariri) n’avait brusqué les choses en s’activant en faveur de la Résolution 1559 du Conseil de sécurité de l’Onu exigeant le désarmement du Hezbollah chiite et le retrait du Liban de toutes les forces étrangères (entendez : les Syriens). Le parrainage, par Hariri, de la 1559, acheva de convaincre Damas que son ancien allié était irrécupérable.

 

 

La revanche du Taëf saoudo-américain

 

Le tollé international qui suivit l’assassinat, en février 2005, de Rafic Hariri, précipita le retrait syrien du Liban, marqua la victoire du camp anti-syrien et permit le retour au pays du général Michel Aoun. Le fils de Hariri, Saad, ses alliés druzes et chrétiens et leurs sponsors étrangers purent alors penser que plus rien ne s’opposerait à l’application du « vrai » Taëf.

 

Aux termes des élections législatives du printemps 2005, le fils de Hariri, Saad, et ses alliés regroupés au sein des Forces du 14 mars, remportèrent la majorité des sièges au Parlement. Néanmoins, leur incapacité à pénétrer la communauté chiite les força à contracter une alliance de gouvernement avec les deux principales formations chiites,  Amal et le Hezbollah, toutes deux pro-syriennes.

 

Pour les Forces du 14 mars cette alliance se justifiait par la nécessité de former un gouvernement équilibré sur le plan communautaire, seule garantie du bon fonctionnement des institutions de l’Etat qu’elles dominaient et à travers lesquelles elles désiraient continuer d’oeuvrer.  

 

Pour les chiites, et notamment pour le Hezbollah, il s’agissait, au travers de cette même alliance, de retarder l’application de la clause de la Résolution 1559, relative au désarmement des milices. De fait, le Hezbollah reçut des Forces du 14 mars la promesse que l’application de la 1559 ferait l’objet d’une décision à l’unanimité au sein du nouveau gouvernement. Autant dire qu’elle ne se ferait pas.

 

Les deux principaux leaders de la majorité, Saad Hariri et Walid Joumblatt, se retrouvèrent alors en porte-à-faux à l’égard de leurs alliés occidentaux qui avaient compté sur eux pour les aider à appliquer la 1559. La majorité tenta bien, pour ce faire, de scinder le bloc chiite en attirant vers elle le président du Parlement Nabih Berri, mais rien n’y fit. Ce que Rafic Hariri avait réussi chez les chrétiens quelques années auparavant, son fils ne le réussit pas chez les chiites. Pire encore, craignant que Hariri et Joumblat ne remettent en cause l’accord sur le report sine die de l’application de la 1559, le Hezbollah contracta une étrange « alliance des exclus » avec le courant chrétien du général Aoun.

 

 

L’échec du Taëf saoudo-américain

 

C’est dans ce climat tendu que le Hezbollah enleva, en juillet 2006, deux militaires israéliens et qu’Israël y répondit par une guerre qui embrasa le Liban trente-trois jours durant.

 

D’aucuns au sein de la majorité parlementaire libanaise caressèrent l’espoir d’une défaite militaire de la milice chiite, qui débloquerait la situation. Il n’en fut rien et les Israéliens ne réussirent pas plus à débloquer la situation militairement, que les Hariri politiquement. Le Hezbollah sortit grandi de cette affaire, son alliance avec les chrétiens aounistes se renforça et Hariri et ses alliés se retrouvèrent sur la défensive.

 

Le Hezbollah chercha alors à convertir son succès militaire en capital politique, exigeant la formation d’un gouvernement d’union nationale, l’octroi de portefeuilles ministériels à ses alliés aounistes et, à l’opposition, d’une minorité de blocage au gouvernement.

 

Pour la majorité parlementaire, ces deux dernières conditions étaient inacceptables. L’entrée des aounistes au gouvernement aurait affaibli les notables chrétiens de la majorité et pesé sur l’élection d’un nouveau président. Quant à la minorité de blocage, que l’opposition exigeait, elle promettait de renforcer les chiites au sein l’exécutif, remettant ainsi en cause la prééminence que les Hariri exerçaient sur l’Etat.

 

Face au refus de la majorité d’accéder à ses demandes, l’opposition demanda aux ministres chiites de quitter le gouvernement. La communauté chiite n’y était plus représenté, la machine de l’Etat se grippa.

 

 

La fin de Taëf ?

 

Le blocage actuel tient surtout à l’incapacité dans laquelle les Hariris se sont trouvés de réduire le pouvoir du Hezbollah et de susciter l’émergence d’un leadership chiite crédible qui leur serait favorable.

 

Les Hariris ne se seraient pas dans une telle situation si, à l’instar du Hezbollah, ils n’avaient eu besoin de l’Etat. C’est que leur pouvoir est essentiellement politique, diplomatique et financier et il ne peut bien s’exercer qu’au travers des institutions de l’Etat.

 

C’est ce qui explique sans doute pourquoi, confrontés à l’éventualité d’une paralysie durable de l’Etat du fait de la non élection d’un président, les Hariris en soient récemment venus à choisir comme candidat le commandant de l’Armée, le général Michel Sleiman, un homme qui, quelques semaines auparavant, ils taxaient eux-mêmes de pro-syrien.

 

            Le Hezbollah est parfaitement conscient du dilemme dans lequel se trouvent les Hariris et leurs alliés. Il sait que, sans les institutions de l’Etat, les Hariris et avec eux les sunnites ne réussiront pas leur OPA lancée depuis Taëf sur le Liban. Il sait que les Hariris ont tenté de créer des instruments miliciens de pouvoir en-dehors de l’Etat mais que cela s’est retourné contre eux.  Le Hezbollah exige à présent que les chiites aient la part qui leur revient dans l’appareil d’Etat. A défaut de quoi, il est  prêt à se passer de cet Etat-là.

 

De ce fait, du fait du peu de cas que le Hezbollah fait de cet Etat auquel Hariri et ses alliés libanais comme étrangers tiennent tant, l’accord de Taëf ne pourra à mon sens survivre à la crise actuelle que si « l’Etat Hezbollah » (que ni la majorité ni Israël ni l’Onu n’ont jusqu’ici réussi à démanteler) était greffé à l’Etat libanais.

 

A terme, un tel greffage serait bien sûr synonyme d’affaiblissement des Hariris au profit du Hezbollah et des sunnites au profit des chiites. Et c’est bien là, que le bât blesse.

 

Conclusion

 

Lorsque, en septembre 1982, le leader maronite chrétien Béchir Gemayel fut assassiné, ses parents, amis et alliés estimèrent à tort que tout pouvait continuer comme avant. Ils le payèrent chèrement : en1983 avec la guerre de la Montagne, en 1984 avec l’insurrection à Beyrouth-Ouest et, à partir de 1989 avec l’assassinat du Président Moawad , l’exil du général Aoun et l’emprisonnement du Dr. Geagea. Il fallut très longtemps aux maronites pour se rendre compte qu’ils n’étaient plus la communauté dominante au Liban.

 

A mon sens, la mort de Rafic Hariri vaut pour les sunnites ce que la mort de Béchir Gemayel valait pour les maronites. Les héritiers de Hariri et ses alliés étrangers ont beau prétendre que sa mort n’a rien changé et que tout pour continuer, tant qu’ils n’auront pas reconnu avoir essuyé là un revers majeur, tant qu’ils n’en auront pas tiré les enseignements qu’il faut, ils continueront de présumer de leurs forces et le Liban d’être pris dans la tourmente.