Tant qu’on se définit comme être agissant, désirant, la fiction (écriture) n’entretient pas tant rapports avec la réalité de la vie, qu’avec l’idée qu’on s’en fait. La vie, c le discontinu, l’inattendu. Mais nous, avant même de la mettre en roman ou en scène, nous cherchons à la scénariser (plans de carrière, planification familiale, projets, etc.). On dit : cet homme ou cette femme promet ; on dit : il ou elle a raté sa vie. On dit : il ou elle n’a pas eu de chance dans la vie. On dit : je te quitte, tu n’es pas du tout l’homme ou la femme que je croyais. On dit : la vie est injuste. Qu’est-ce à dire, sinon que l’idée prime, qu’elle est même plus importante que la vie. En ce sens, écriture = tentative de rationaliser nos propres idées sur la vie, mais aussi tentative de rendre cohérent ce qui ne l’est pas nécessairement.
Il y a un temps pour tout, dit le Livre de l’Ecclésiaste. Et à mon sens, il y a un temps pour apprendre à vivre, et un autre pour apprendre à mourir. En ce qui me concerne, l’écriture fait partie de mon apprentissage, non de la vie, mais de la mort. Il y a sans doute pire que rater sa vie : rater sa mort. Ceux qui sont morts ici croyaient que la Beauté ne vient pas de la vie pas plus que de la mort, mais de la perfection qu’on donne à l’une comme à l’autre. Je sais qu’on dit que vie = désir. Néanmoins, je pense qu’on peut vivre, être vivant, sinon sans désir, du moins comme disait Barthes sans vouloir-saisir.
Le roman d’espionnage aborde la dimension surnaturelle et surhumaine de l’existence et de toucher à quelque chose qui dépasse l’homme et lui échappe.
Le roman d’aventure relation que l’homme entretient avec le monde physique (continents perdus, terres inconnues, océans et déserts infranchissables) et les cultures autres que la sienne.
Le roman policier relation que l’homme entretient, dans sa propre société, sur son lieu de vie, avec ses proches et ses semblables (famille, amis, voisins, amants, collègues de travail). N’est-ce pas d’ailleurs pour cela qu’une bonne partie de la critique sociale aux Etats-Unis avait passé par ce qu’on appelle en France le « roman noir » ?
Dans l’un comme dans l’autre cas, dans le roman d’aventure comme dans le roman policier, l’homme, vous en conviendrez, est au centre des choses et, même s’il n’est pas toujours maître de son destin, du moins comprend-il ce qui lui arrive.
Tel n’est pas le cas dans le roman d’espionnage où l’homme est manipulé, malmené, sacrifié, par des forces et des lois obscures qui le dépassent et qu’il ne comprend pour ainsi dire jamais.
Si le roman d’aventure et le roman policier sont enfants de la Renaissance qui aura, comme on le sait, déplacé Dieu pour placer l’homme au centre de l’univers, le roman d’espionnage serait plutôt l’enfant de la pensée magique de l’Antiquité, quand le destin des hommes était décidé par les dieux qui se jouaient d’eux au gré de leurs caprices, inimitiés et rivalités.