1-L’écriture est-elle pour vous un exutoire ?
Pourquoi un exutoire ? Je ne suis pas particulièrement mal dans ma peau et, quoique le monde me donne parfois froid dans le dos, je ne crains pas de le regarder en face. Partant, je ne dirais pas que l’écriture est pour moi un exutoire. Si exutoire il y a, sans doute faudrait-il le chercher dans la manière dont je m’efforce, lorsque j’écris, de garder conscience des mécanismes de mon écriture et des automatismes de ma pensée et aussi, dans la façon dont, tout en assumant mon rôle, je m’efforce de démystifier le personnage de l’écrivain : de dire à quel point la place privilégiée qu’il occupe aujourd’hui dans la société est usurpée. S’il y a malaise, il est dans le triste constat, que je fais, que les mots servent hélas rarement à transmettre : que, le plus souvent, ils ne servent qu’à communiquer. Or, on peut très bien communiquer sans avoir rien à transmettre. Cela arrive même très souvent.
2- La notoriété a-t-elle nuit à votre vie privée ? La devise « pour vivre heureux, vivons caché » que vous avez adoptée est-elle le fruit d’un malaise à vous vivre « publiquement » ?
Au risque de vous décevoir, je dirais que je n’ai nulle notoriété. Il ne faut pas croire tout ce que ma mère peut raconter ! Quant à ce mot de Florian que vous citez, à savoir, « Pour vivre heureux vivons cachés », je ne pense pas qu’il me plaise du fait que je ressentirais un quelconque malaise à vivre « publiquement ». Je ne fuis pas l’Autre. Il est vrai que je ne recherche pas plus son regard, que je ne le sollicite pas et que je ne m’en nourris pas. En résumé et quitte à faire un mauvais jeu de mots, je dirais que si le public m’intéresse énormément, la publicité, elle, ne m’intéresse aucunement.
3- Quel est-parmi vos ouvrages- celui pour lequel vous éprouvez une tendresse particulière et pourquoi ?
C’est un peu trop tôt pour me demander cela. Posez-moi à nouveau la question lorsque j’aurais arrêté d’écrire et que je poserais sur mon œuvre un regard réflexif. Pour l’instant je vous répondrais que l’ouvrage que je préfère est toujours celui sur lequel je travaille. D’une part parce qu’il s’inscrit dans le présent, non au passé, d’autre part, pour tout ce qu’il peut m’apprendre sur moi et sur le monde où je vis.
4- Etes-vous un homme heureux ?
Je serai heureux le jour où je me connaîtrai vraiment et que j’accepterai le monde tel qu’il est.
5-Quelle a été votre plus grande peine ?
D’avoir perdu mon père, mort de mort violente, sans avoir pu lui dire que je l’aimais.
6- Et votre plus grande joie ?
D’avoir vu ma mère échapper aux hommes armés qui allaient fusiller mon père.
7- Quel est, selon vous, votre principal trait de caractère ?
La lucidité, mâtinée d’un peu d’humour.
8- Et celui que vous aimez le moins en vous ?
Une révolte latente, grondante, bouillonnante, contre les injustices. Pour légitime qu’il puisse être, ce sentiment de révolte n’en entre pas moins en conflit avec la lucidité. Il m’empêche de ce fait d’accepter le monde tel qu’il est.
9- La fidélité en amour est-elle, selon vous, un concept viable ?
La question de la fidélité ne se pose pas à mon sens en relation avec l’amour, mais uniquement en relation avec le désir. Et je n’ai pas ici à l’esprit le seul désir sexuel, car il existe d’autres formes de désir : désir d’appropriation, de possession, de valorisation de soi, etc. Or le désir fonctionne en termes d’adéquation de l’autre à nos propres fantasmes. Mais dès que l’image de l’autre s’altère, dès qu’elle n’est plus en phase avec nos fantasmes, le désir que l’on ressent pour lui reflue comme la marée et la question se pose alors de la fidélité à la parole donnée. L’amour véritable, lui, n’a rien à voir avec l’adéquation de l’autre aux fantasmes que nous nourrissons à son égard. L’amour ne connaît ni adéquation ni inadéquation, ni flux ni reflux. C’est un état permanent et pour ainsi dire hors du temps. Partant, en amour, la question de la fidélité ne se pose même pas.
10- Si vous devriez changer quelque chose à votre vie, quel serait-il et pourquoi ?
Je ne voudrais rien y changer. Ce serait là entrer en conflit avec moi-même et refuser de m’accepter tel que je suis.
11- Etes-vous romantique ?
Si l’injustice continue de me révolter, si j’écris aussi, c’est que, quelque part, je dois l’être. Par contre, si vous me demandez si je suis romantique en amour, je vous répondrais que non. Non, parce que l’amour véritable ne saurait se nourrir d’illusions.
12- Croyez-vous au coup de foudre ?
Je crois au coup de foudre dans le désir, pas en amour. L’amour, lui, est le fruit d’un long processus de connaissance de l’autre et de découverte de soi. Je me souviens d’une scène du film The Barber, de Joel Cohen. Une femme y propose à un homme de l’épouser deux semaines à peine après l’avoir rencontré. Etonné, ce dernier lui demande si elle ne voudrait pas auparavant apprendre à mieux le connaître. « Pourquoi ? » lui demande-t-elle. « Vous gagnez donc à être mieux connu ? » Inutile de vous dire que ça s’est plutôt mal terminé pour eux.
13- Avez-vous peur de la mort ?
A chaque fois que je place la mort en opposition à la vie, j’en ai peur. Car elle annonce la disparition de ma conscience individuelle et de mon ego. Mais dès que je me dis que la vie et la mort sont liées et que l’une ne peut être sans l’autre, dès que je mets mon ego un peu de côté, ma peur de la mort recule. Ce dont on a peur, en fait, ce n’est pas la mort--puisqu’à son sujet, on ne sait rien de concret--, mais l’idée qu’on se fait de la mort. C’est cette idée-là qui nous fait peur et je me dis : Devrait-on avoir peur d’une idée ?
14- Quelle est votre boisson favorite ?
La vodka et le coca. Séparément.
15- La phrase ou le mot qui vous déstabilise ?
« J’aime beaucoup ce que vous écrivez ! »
16- Quel est votre signe du zodiaque ?
Cancer.
17- Quelle a été votre plus grande folie ?
D’épouser ma femme.
18- Et votre décision la plus sage ?
D’être resté avec elle.
19- Assurez-vous en toutes circonstances ?
Dans les petites, rarement. Dans les grandes, toujours, du moins jusque-là.
20- Petit, que vouliez-vous faire ou devenir ?
Nager à contre-courant.
21- Qu’aimeriez que l’on dise de vous ?
Que j’aurais été, au sens antique du terme, un honnête homme : que je ne me serais pas menti pas plus que je n’aurais menti à autrui ; que je n’aurais pas cherché à séduire ou à bluffer mes contemporains en en appelant à leurs émotions, mais que j’aurais eu à cœur de les convaincre en en appelant à leur seule raison.
22- Quel est votre prochain rêve que vous aimeriez pouvoir réaliser ?
Quand le Sage montre la montagne du doigt, dit un proverbe chinois, l’idiot regarde fixement le doigt. Ecrivain, j’aimerais un jour pouvoir montrer autre chose que mon doigt : écrire un livre dont les mots s’effaceraient de ma mémoire aussitôt que je les aurais couchés sur papier et qui s’effaceraient aussi de la mémoire du lecteur aussitôt qu’il les aurait lus ; comme moi, il ne retiendrait alors que ce qui aura suscité mes mots et qu’ils auront voulu lui montrer.
23- Quelle a été votre plus grosse peur ?
Le jour où j’ai grimpé dans un planeur dans le vain espoir de me débarrasser de ma peur du vide.
24- Avez-vous un héros dans la vie ? Si oui, lequel ?
Dans la fiction, Hector, dans l’Iliade d’Homère. Dans la vie réelle, par ordre chronologique, Léonidas, roi de Sparte, pour sa parfaite virilité, Socrate pour sa parfaite intégrité, Jésus de Nazareth pour sa parfaite humanité et Jiddu Krishnamurti pour sa parfaite liberté.
25- Un talent que vous auriez aimé avoir ?
Savoir parler aux enfants.
26- Qu’est-ce qui vous attire, chez une femme ? Et qu’est-ce qui vous en éloigne ?
Je demande à voir mon avocat.
27-Quel est votre livre de chevet ?
Les romans truculents de P.G. Wodehouse, notamment la série des Jeeves et celle de Blandings.
28-Votre film culte ?
Excalibur de John Boorman et Gladiator de Ridley Scott. Vous voyez ? Je suis incorrigible ! Vous auriez aimé interviewer un écrivain, un vrai, quelqu’un de grave, de sérieux, même s’il est un peu pompeux, et me voilà en train de vous raconter que j’ai des romans comiques pour livres de chevet et qu’au cinéma, les épopées héroïques sont mes préférées.
29- Quand avez-vous pleuré la dernière fois ?
Le jour où j’ai perdu quelqu’un pour qui j’avais beaucoup d’estime.
30- Votre dernier fou rire ?
Le jour, peu après, où je me suis rendu compte que cette personne que je pleurais n’était pas celle que j’avais imaginé qu’elle était. J’ai alors attrapé le fou rire et je me disais en riant aux éclats que dès lors qu’on élevait une statue à quelqu’un, c’était en fait à sa propre gloire qu’on l’érigeait. J’ai alors ri de ma folie.
31-Quelle est votre devise ?
Une situation peut être désespérée, elle n’est jamais grave.
32- Etes-vous un homme libre ?
Certes pas. Je demeure l’esclave de mon ego : de tous mes moi, petits et grands, y compris celui-là qui vous parle à présent si humblement. Je reste néanmoins conscient du fait et cela me permet d’espérer me rapprocher de cette condition d’homme libre que vous évoquez.
33- Quel est le fantasme que vous n’avez pas encore réalisé ?
Jouer le rôle de Steed dans la série télé Chapeau melon et bottes de cuir.
34- Quelle est l’expérience qui vous a positivement marqué le plus ?
Ma vie commune avec ma femme.
35- Et celle qui vous a dérangé ?
Cette même vie commune avec ma femme. Elle me « dé-range » en effet au vrai sens du terme, m’incitant à me remettre constamment en cause et à questionner en permanence toutes mes certitudes et tous mes acquis.
36- Etes-vous croyant ? Pratiquant?
Je ne suis pas pratiquant car les religions dominantes, notamment le monothéisme, reposent bien plus sur le dogme que sur la piété. Et le dogme, on le sait, est à l’origine de toutes les divisions et exclusions, de tous les abus et excès. Je suis en échange croyant car j’estime que la vie ne s’arrête pas à l’ego. Je suis même convaincu que l’ego fait barrage à la vie.
37- Si vous deviez décrire le Liban en une phrase, quelle serait-elle ?
Carpe diem.
38- Avez-vous le fameux flegme des Britanniques ?
Le flegme, je ne sais pas. La nonchalance, en tout cas.
39- Pourquoi Paris comme choix de vie ?
Au départ, les hasards de la vie. Plus tard, pour ne plus avoir à me demander si je serais plutôt libanais, ou plutôt anglais.
40- S’il ne vous restait plus que 24h à vivre, comment et avec qui les passeriez- vous ?
Avec ma femme certainement. Et je passerai je l’espère ce temps qui me restera à essayer d’accompagner la mort plutôt qu’à l’affronter tout en la craignant.